Liaisons par transfert de charge : une caractéristique inattendue
de certaines liaisons sigma
Philippe Hiberty, Groupe de Chimie Théorique, LCP,
Université de Paris-Sud
Lundi 27 février 2006, 11h00, salle 2/3,
Bâtiment St.Raphael, 3 rue Galilée, 94200 Ivry-sur-Seine
La conception classique de la liaison sigma est celle d'un superposition d'une forme covalente et
d'une forme ionique. De ce mélange résulte une énergie de résonance, sur laquelle est basée
l'échelle d'électronégativité de Pauling. Cette énergie de résonance est supposée importante
si la liaison est polaire, et nulle ou négligeable si la polarité de la liaison est nulle.
Or ce schéma est mis à mal dés qu'on le teste par des calculs valence bond précis. Certaines
liaisons homonucléaires, en particulier si les atomes liés sont électronégatifs et/ou portent
des paires libres, ont une très forte énergie de résonance covalente-ionique, responsable de
tout ou grande partie de l'énergie de liaison, au point que la composante covalente est très
faiblement liante, voire répulsive. Ainsi, ces liaisons ne doivent aucunement leur stabilité
à un couplage singulet classique entre deux orbitales atomiques simplement occupées, mais
uniquement à une fluctuation de charge entre ces orbitales. Cette distinction entre liaisons
au sens classique et liaisons à transfert de charge, qui concerne aussi bien les liaisons
homonucléaires que les liaisons polaires, est également mis en évidence par des calculs ELF/DFT
et n'est donc pas un artefact de la méthode valence bond. De telles liaisons correspondent
précisément aux "no-density" bonds, pour lesquelles la formation de la liaison correspond non
pas à une accumulation de densité entre les deux atomes, mais au contraire à un déficit d'électrons.
Loin d'être un simple amusement de théoricien, les liaisons à fluctuation de charge ont
des manifestations expérimentales, parmi lesquelles les différences de barrière entre les
réactions d'échange HX + D -> H + DX et XH + Y -> X+ HY (X, Y = halogène ou groupe isoélectronique),
dont on montre en passant qu'elles constituent une mesure expérimentale de l'énergie de
résonance covalent-ionique dans les liaisons polaires.